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Jijel, les évasions

 
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Randonnées

 
Bonjour Chahna
 

Randonnées

« Pourtant que la montagne est belle... » Jean Ferrat


Au coeur des Béni Affeur,
au pied du Bou Azza,
Bonjour Chahna


Panorama Chahna La vallée d'Azarez, à gauche la route serpentant vers Ouled Askeur
siège du PC de la Wilaya II durant la révolution.

Jeudi 01 mai 2014

Aujourd'hui, je n'ai pas bien dormi et mon estomac est à l' "envers" , à la manière dont gémissaient nos grandes mères. Malgré cela, à sept heures vingt minutes du matin, j'arrive près de la mairie de Jijel, il était convenu que l'on parte visiter les environs de Chahna, une trentaine de kilomètres au sud-est de Jijel. Au sein du territoire des Béni Affeur donc, vers les contreforts nord du mythique Bou Azza, le deuxième sommet de la wilaya. Le départ est fixé à 7 h 30 par l'invitation qui m'a été faite par l'association « SAFIR » , que vous connaissez, puisque j'en ai déjà parlé lors de l'escapade d'Erraguène.

Mais, à cette heure, il n'y avait pas monde près du lieu du rendez-vous. Quelques personnes, le nombre des doigts de la main gauche à tous énumérer, que j'ai reconnu. Naïf que j'étais, malgré ma lucidité, je résistai à croire que les gens conviés comme moi (Dieu me préserve du mot moi), allaient être à l'heure ou seraient tous ponctuels en même temps pour une fois. J'ai oublié que les notions, de temps, de disponibilité et de parole donnée, s'étaient dépéries avec les années et les générations. Conceptions sans doute évanouies dans les méandres d'une modernité mal entamée ou mal conduite.

Quand même, c'est une heure après que les trois bus démarrent. Le jour introduisant le mois de mai s'annonce agréable. Au matin déjà, la naissance du jeudi s'affichait très lumineuse. Moi (?) et quelques amis avions décidé de prendre le bus chinois, car il n'est pas totalement complet. Les autres, l'on évité, espérant qu'ils seraient mieux servis sur le Hundai ou le Toyota, de bonnes marques. Le notre, non seulement, il ne possède pas beaucoup de places, une vingtaine, me semble-t-il, et encore des sièges sont restés vides. Ainsi, c'est un premier bonus. Même si les vitres n'ont aucun rideau, d'où le "High-Key" enveloppant l'intérieur, ou que le moteur, qui émerge jusqu'au plancher formant une boursouflure carrée, ronfle puissamment ; on s'est tout de suite accommodé du bruit et, les premiers kilomètres entamés, très bien sentis voyageant dans une atmosphère de sécurité, on dirait. Car, par chance ou « Nia » , on était servi par un excellent chauffeur, d'une agréable bonhomie et qui connaissait la région de Chahna. Une autre faveur pour nous. C'est lui plus tard qui nous a montré quelques hameaux et mechtas, splendidement accrochés aux pentes et raconté quelques histoires concernant son territoire qui m'intéressait au plus haut degré.

On passe par Taher pour ramener avec nous d'autres invités. À peine quelques minutes d'arrêt, et l'on repart de sitôt. La sortie de la ville est exigüe et cause énormément de désagréments aux automobilistes et aux piétons. Le long de la route jadis entièrement ombragée par des platanes centenaires, les terrains, ou par le passé prospéraient des plantations maraichères, sont pris en étau maintenant par une série de commerces de véhicules en plein air ou de fabriques presque toutes employant du ciment. Ici, on remarque bien l'avancée du béton. D'ailleurs les bas-côtés de la route qui demeuraient verdoyante, il n'y a pas si longtemps, sont envahis par une poussière collante et grise, les quelques reliques de platanes survivants de l'agréable allée, souffrent en silence tout en subissant pareil sort. Cette allée vers Djimar ou Chekfa était resplendissante. Si l'on reprend un dicton local, l'on dira simplement : « Qui n'a pas connu pareille beauté, s'émerveillera devant la laideur » . Les paysages évanouis nous manquent.

Un embranchement et nous tournons à droite. La source ou l'« Aïn di Bachelot » est toute proche. Dire que jadis, on la désignait «Aïn Tabana », je ne porterai donc pas de commentaires, rien que le terme proche de raticide me révolte. Aujourd'hui, elle est cachée du regard par une architecture pudique, tournoyante, mettant en scène une résurgence d'où l'on ne voit pas l'eau jaillir. Il faudrait s'en approcher sur un terrain sans trottoir, puis patauger dans quelques flaques visqueuses pour pouvoir observer l'écoulement. On dirait une « mayda » en ellipse décorant une zaouïa mal entretenue. Finalement, une bonne eau servie par une mauvaise esthétique, tout le monde pourrait être d'accord là-dessus.

La route rectiligne débouche à l'embranchement de Chekfa, nous prenons à droite la voie qui part vers les hauteurs de Chahna, suivant à peu près les poteaux électriques dont les fils sont tenus du vent, parait-il, par de grosses boules, lesquelles je me suis souvent demandé à quoi servaient-elles. Puis, une belle prairie s'ouvre à nous, j'oublie les boules. Elle est couverte de scilles maritimes aux feuilles larges et grandes, parmi des lys sanguins. D'autres terrains sont envahis par du sainfoin rouge formant des tapis colorés agréables à la vue et que j'aurai aimé prendre en photos. Mais, je ne pouvais pas faire arrêter le cortège des trois bus. Il m'est interdit d'éclabousser le programme. Notre chauffeur n'était pas de cet avis, et il aurait, m'avait-il dit plus tard, fait s'arrêter volontiers. Une image de ratée quoi! à cause des timidités étagées.

Au loin, les quelques centaines de mètres de terrains apaisés où coule l'oued Zerhba jusqu'à la route sous-estiment les gorges impressionnantes de Bouakacha et celles d'El Khard dont les cours d'eau se rejoignent en amont de Tazekka, apportant une fausse impression de tranquillité et de facilité au premier visiteur.

À gauche : la sortie de l'oued???? À droite : la sortie des gorges à Tazekka

Puis la route entame la montagne où s'affrontent grès, schistes, argiles et marnes. Tracée en lacets bitumeux et pittoresques, elle passe par El Kalaâ, forteresse naturelle qui comporte quelques ruines romaines sans doute effacées depuis, qu'il est bon de revoir tout de même, Ezzitouna et ses nouveaux buildings : une antinomie architecturale et un viol de la nature, puis enfin Khoula quand la chaussée se redresse de plus en plus. À Khoula, joli nom en passant, la mosquée jouxte les antennes téléphoniques. Avant que le virage ne finisse, une belle route part vers Oudjana. Celle-ci me plaît beaucoup, régulièrement, je fais ce chemin à pied. De la vitrine du bus, je l'observe telle une petite corniche creusée en on-shore. Quelques kilomètres plus loin, elle débouche sur les beaux près de Bouafroune où l'on a trouvé et découvert un peu de tout dans la région : une présence libyque, des vestiges romains, une curieuse grotte, des pareterres botaniques inédits, etc.. Enfin, on en reparlera un jour.

khoula Khoula

Quelques virages et on aboutit au village de Chahna, juché sur un col. Le bus s'engage dans un tournant en épingle de cheveu très étriqué, dans une manœuvre ressemblant à celle d'un voilier poussé par des vents arrières, qui nous conduit très rapidement devant le siège de l'hôtel de ville de la commune : de la mairie si vous voulez, peinte en vert et blanc.

Mairie Le rassemblement en face de la mairie de Chahna

Là, tous les invités descendent et se rassemblent au bout d'un moment sur le parvis de la mairie, non sans avoir au préalable admiré le défilé de l'oued Azaraz qui coule au fond de la vallée encaissée. Depuis le pont qui enjambe la magnifique rivière, une route en lacets, impressionnante, grimpe vers Ouled Askeur. Les minarets de la mosquée en premier plan rehaussent l'image.

Azarez Panorama à Chahna, en bas serpente l'oued Azarez

Un représentant du maire s'adresse à l'assistance. Il fallait excuser l'édile de la commune, ce dernier étant pris dans les commémorations du premier mai. À ses cotés, un ancien maquisard. J'aurais aimé en parler plus sur eux deux et les autres anonymes pourtant tout aussi accompagnateurs, car ils ont été admirables et surtout disponibles. Je les félicite d'autant que ce sont les gens de Chahna qui les louent. Moi je les salue encore pour la disponibilité. Certes, ils ont tous deux souhaité la bienvenue à ce beau monde, mais c'est surtout durant les itinéraires qu'ils ont été remarquables montrant une grande mobilisation et une haute solidarité. Chapeau également aux autres membres de la commune. Tous pudiques et simples qu'ils étaient, je pense que vous auriez tout compris à mon hommage, fût-il élémentaire.

Dans un discours tenu en plein soleil, ils ont décrit sommairement l'itinéraire de la randonnée, puis dépeins pour nous la région de Chahna au coeur des magnifiques paysages des Béni Affeur,sa topographie abrupte, se crêtes élevées avec la montagne fétiche Bou Azza, ses belles et généreuses forêts ainsi que son histoire ancienne particulièrement des évènements qui se sont déroulés durant la guerre de libération nationale. D'ailleurs, un centre de surveillance, de détention et de torture utilisé par les forces coloniales est resté le témoin de cette période où plusieurs personnes de la région ont trouvé la mort, il est juste en face du siège de la commune. On est aussitôt invité à le visiter.

Centre Ancien centre de surveillance et de torture français

Centre Puit où l'on jetait les prisonniers

L'édifice en pierre de taille est fait de plusieurs pièces, les murs donnant à l'est et au sud sur la vallée encaissée d'Azarez sont échancrés de meurtrières. Une cour avec un puits sinistrement connu de certains habitants pour y avoir été jeté dedans, pour subir atrocement toutes les privations et les humiliations si on ne balançait pas très souvent sur eux tous les détritus et eaux usées engendrées par les soldats français qui y élisaient domicile. Sans décrire les supplices qui étaient pratiqués, on affirmera cependant que beaucoup n'y sont pas sortis vivants. Les blessées et les torturés encore vivants en sont la manifestation, ils subissent encore jusqu'à aujourd'hui de douloureux souvenirs. L'assistance a eu à entendre de poignants témoignages.

Panorama
Panorama Paysage à Chahna

Il est presque onze heures, on prend les bus en direction du monument commémorant la réunion de Bouakacha tenue en 1956. Notre chauffeur nous conduit vite vers un croisement de chemins, à Boutouil précisément, où l'on aperçoit sur la piste montante une succession de maisons inachevées, sans doute faute d'aides ou de subventions. Le dénuement est atrocement visible ici, les visions et les solutions doivent être décuplées. Belle nature, rude topographie. Le bus arrivé à son terminus, celui pour nous de Boutouil, notre chauffeur dans une pique d'ironie nous montre la poste et nous dit : « Allez-y, vous pouvez retirer de l'argent». Pour un jour férié, ce fut une bonne blague.

Boutouil L'alignement de maisons à Boutouil. Traduction juste! Cherchez la poste!

Du bel air de Boutouil, on dévisage avec acuité les routes et les sentiers vertigineux serpentant vers Bouchehouf, Aydalane; des mechtas magnifiquement accrochées à la montagne boisée, il faut y vivre pour sentir le dénuement et les craquelures des articulations, ou bien admirer en direction de Taylamt les flancs vertigineux de Khenag Aziz créant un pittoresque couloir creusé dans le djebel Echhafra (mont paupière), dont on devine aisément à la forme hérissée de ses crêtes. Je sais ce à quoi vous pensez, le chaâbi pourrait dans ce cas, ne pas être notre penchant.

D'ici, partout où l'on jette le regard, le paysage est massif. Les pics et des sommets éprennent des cirques majestueux. La topographie précipitée se succède jusqu'aux hauteurs de Ouled Askeur, Bordj Thar et Seddet. Ah ! Si nous avions des parapentes.

Béni Affeur Le pays massif des Béni Affeur
Chahna Vue de Chahna. Au loin, sous le nuage le mont Seddet,
son flanc nord dévalant vers la mer.

Un âne, revenons sur terre, solitaire parvient jusqu'à nous à travers une piste carrossable montrant sur les côtés de belles cristallisations calcaires. Figurez-vous qu'il existerait des personnes qui n'ont pas vu d'ânes depuis longtemps. Avouons-le. Pourtant, ces animaux sont de chics bêtes, de chics types.

Boutouil Paysage à Boutouil

On nous désigne un monument sur un bras de montagne. On y accède par une piste montante flaquée à mi-parcours par un bois de chênes-lièges dont une partie a été calcinée, laissant, en certains endroits, germer des pousses de genêts jaunes, ou dévoilant dans un autre, un tapis de fougère très vert. Moi, ce sont les sentiers slalomant à flanc de buttes et de monts qui m'enivrent davantage.

forêt Une forêt brulée mais qui repousse. Enchevêtrement chaotique des branches.
N'ayez pas peur.

Nous arrivons au monument glorifiant la rencontre des chefs de Wilaya, dites improprement « Réunion des Colonels », qui a eu lieu du 06 au 12 décembre 1958 à Bouakacha dans le douar Chahna, dans le but d'unifier les visions sur la révolution nationale. Le territoire de Bouakacha faisait partie du Secteur 2 - Région 2 - Zone 1 - Wilaya II.

Monument Le monument commémorant la semaine des "Colonels"

Étaient présents :

  1. Wilaya 1 : Mohamed Abid dit Hadj Lakhdar
  2. Wilaya 2 : Ali Kafi absent a délégué le secrétaire général de la wilaya II, le Docteur Lamine Khen
  3. Wilaya 3 : Aït Hamouda Amirouche dit Colonel Amirouche
  4. Wilaya 4 : Mohamed Bouguerra dit Si Ahmed
  5. Wilaya 6 : Ahmed Ben Abderezak dit Si El Haouès

Réunion des chefs de wilaya Le monument de Bouakacha

La wilaya 5 ne fut pas représentée. Et l'on remarque écrit sur la plaque commémorative la présence de Mohamed Boukherrouba.

Vous remarquez déjà un hic. Une réunion planifiée qui se tient dans la wilaya II sans la présence de son responsable numéro un, de son commandant. Si Messaoud Nia, responsable régional, nous a bien expliqué quelques circonstances, le temps ne nous permet pas d'étaler les tractations qui ont été faites et les résultats de la réunion nationale. Seulement, je vais vous donner quelques explications de ce fait historique important qui tiendront convenablement dans une valorisante thèse d'histoire.

Selon Ali Kafi, responsable de la wilaya II après le « départ » de Bentobal à Tunis, la réunion n'en était pas une. Amirouche, Hadj Lakhdar et Bougherra, seraient venus en wilaya II, « sans le consulter » , ce qui serait invraisemblable à y réfléchir. Munis d'un document relatant les effets de la « bleuïte » dans leurs wilayas respectives, les trois chefs ont exhorté le responsable de la wilaya II de les suivre dans leur démarche, qui comme a relaté Kafi avait « couté la vie à nos meilleurs cadres et jeunes » . Effectivement, il y a eu presque deux mille personnes exécutées en wilaya III, une majorité d'étudiants et de lycéens venus principalement d'Alger, un peu moins en wilaya IV. Amirouche a été victime, on le sait, d'un complot diligenté par le capitaine Léger, spécialiste de « l'action psychologique » , qui dirigeait à Alger, un « groupe de renseignement et d'exploitation » , destiné à intoxiquer l'adversaire : l'A.L.N. de l'intérieur. Pour cette raison, Ali Kafi ne voulut pas les suivre pour ne pas s'impliquer dans cette histoire. Il leur envoya le Docteur Lamine Khan qui était secrétaire général de la wilaya II.

Mohamed Harbi, est quant à lui, d'une autre version. Il parle de lutte de pouvoir entre Krim et Bentobal. Les wilayas III, IV et une partie de la I, sont avec Krim ; la wilaya II et l'autre groupe de la I marcheraient pour Bentobal. Pour une des raisons, on pourrait croire qu'Ali Kafi s'est absenté pour ne pas cautionner une consécration de Krim par les chefs de wilaya, sur son propre terrain et ne pas faillir à son ancien chef Bentobal. Notons que Bentobal et Krim étaient à Tunis. Toutefois, ces allégations doivent être soutenues par un aval académique sérieux et convaincant émanant d'une recherche historique rigoureuse.

Ajoutons une chose, malgré les soubresauts qui avaient secoué la révolution, particulièrement le cas de la « Bleuïte » , la wilaya II, ainsi que ses personnages se sont dans le fond très honorablement comportés, évitant les exécutions sommaires de jeunes issus surtout des villes en déjouant les intoxications de l'ennemi. Dirigée par des hommes sages et dévoués à la cause nationale, cette région est restée solidaire jusqu'à l'indépendance, d'où les attaques qu'elle perçoit maintenant de certains tenants politiques pour la contenir dans l'isolement, en dévoyant l'histoire pour la déshonorer et en déclarant une omerta sur les bravoures et faits et gestes hautement éloquents de ses Hommes et de ses Martyrs.

Plaque commémorant la réunion des chefs de wilaya Plaque commémorant la réunion des chefs militaires

Le monument commémore donc cet évènement majeur. Malheureusement, il n'est pas d'une esthétique qui pourrait rendre un hommage certain à la hauteur de l'histoire. Le design du monument n'est point joli ni attirant. Le site est certes superbement situé, mais des poteaux électriques le pervertissent. Ce qui en reste n'est pas restauré non plus, des plaques de marbre sont détachées, sans doute volées, alors que la clôture a disparu depuis belle lurette en suivant le même chemin que le larcin précédent. Des canettes de bière jonchent le sol comme pour consacrer un sacrilège de plus et insulter l'histoire pourtant proche. Dévoyer dans les liquides et les souillures une si importante date qui avait réuni de si valeureux hommes et tant de martyrs est choquant. Personne ne respecte plus rien. Où était-il dit qu'« un peuple qui renie son histoire est condamné à la revivre ». Nous sommes totalement dedans, continuons et l'on verra où cela nous mènera. Vers l'atavique futur antérieur.

Après quelques chansonnettes entonnées par des enfants scouts en solidarité grégaire et un concerto à la derbouka tambouriné par un énergique chérubin en extase, nous nous rassemblons. Puis, la procession des invités se met en branle. La suite de notre marche va nous conduire vers les hauteurs de Bouakacha. Donc direction nord, et quelques pentes en prime. Il est utile, je le rappelle, de posséder des notions d'orientation en montagne et savoir lire une carte. Tout seul, on peut s'y perdre surtout si on aborde une forêt dense ou un massif montagneux. Si l'on pratique les quelques règles de prudence et d'anticipation, à la longue, on s'y habitue pour ensuite prendre du plaisir. Et découvrir subitement que la montagne et la forêt sont belles. Pour la science, ce ne sait qu'un terrain vierge.

Quelques belles couleurs

Bon, pour l'instant, chacun y va de son rythme, de sa fatigue, de sa déshydratation. En effet, la majorité n'apporte presque rien pour étancher la soif se fiant au feeling des organisateurs qui aurait bien fait d'en avertir les novices. Il est inconcevable de parcourir des kilomètres sans eau avec un soleil au zénith. La déshydratation est pernicieuse et peut causer quelques méfaits. En randonnée, même si on n'a pas soif, il faut boire régulièrement, en petite quantité. Heureusement, on passe près d'une maison, son mur construit en pisé avec des schistes aux nervures parallèles se fond dans le paysage. Des tuyaux, démarrant d'on ne sait où, laissent échapper de l'humidité salvatrice. On se rue pour se désaltérer à même le tuyau et outrager les visages réchauffés et rosis par le soleil. Que des soulagements !

Tant bien que mal, on arrive à un col qui nous offre une époustouflante vue sur la plaine de Taher et la mer. Tous apparemment, ne subissent point l'effet de l'altitude, ils ne la ressentent même pas alors que nous dépassions les 1000 mètres. Moi, j'ai bien senti quelques bourdonnements d'oreilles, mais la montagne n'y est pour rien.

Paysage à Bouchehouf et Aydalane

Les pentes vertigineuses dévalant vers le nord défient les plus téméraires des marcheurs. Cependant, quelques kilomètres plus loin, le paysage s'aplanit soudainement et se réconcilie avec l'horizon. D'ici, la montagne, on peut ne pas le remarquer, est dressée en théâtre, en un cirque imposant et spectaculaire. Des thalwegs impressionnants, dangereux mêmes, creusés en défilés, je vous cite quelques-uns : O. el Djouabi, O. el Khard, confluent leurs eaux dissimulées sous une dense végétation en direction d'Oudjana et Zyaten, bourgades en expansion étalées en contrebas de part et d'autre de l'Oued el Zerhba. L'oued Bou Kraâ, indifférent aux déclivités, promet de charrier les hautes fluidités ainsi ramassées jusqu'à l'oued Nil, près de Djimar.

Les gorges de Bouakacha débouchant à Tazzeka.
Au loin la plaine de Taher et la mer.

J'ai laissé la file reprendre son chemin pour m'écarter davantage à la recherche de quelques curiosités botaniques et de bons plans à photographier. Le paysage n'est pas pour déplaire. À une certaine altitude, des fleurs bleues envahissent les ombres des buissons. J'en prends des clichés, on ne sait jamais. Puis, nous arrivons en vue du monument aux morts que l'on n'a tristement pas visité et de la magnifique prairie d'El Mredj. Un sublime coin où l'on aurait dû s'y arrêter. Une fraicheur, que seules les montagnes peuvent en fournir, nous bichonne précieusement. On reprend de la vigueur.

Une crête du Djebel Echafra et l'entrée de la merveilleuse forêt d'Ezzen.

Le trait de la stèle, érigée sur une légère éminence, où avait eu lieu une mémorable bataille durant la guerre de révolution, est maintenant assez loin derrière nous. Nous allons entrer dans la forêt de zen, de chênes ; témoins probablement des centaines de martyrs de la guerre d'indépendance qui auraient cheminé près d'ici par le passé, oublié puis aujourd'hui déserté. Je reprends le nom : Ezzen. Superbe mot et magnifique boisement, à l'égal de celui de Guerrouche ou de Ma Bared. Une zenaie docile de l'extérieur, très agréable à la vue, pourtant, ses versants fougueux font qu'elle reste difficile d'accès, c'est la première impression que l'on ressent en regardant en contrebas. En haut encore, des murs couverts de végétation impétueuse barrent la vue ; par distance, des thalwegs tout aussi insensés ajoutent du piment aux vertiges. Pour un naturaliste, tout est généreux.

Une clairière stoppe nos émerveillements littéraires. Il est l'heure de déjeuner. À l'ombre, chacun s'assied dans son coin psychologique. Il est vrai que l'on s'adosse à un arbre qui nous est «proche» , presque familier, qui nous attire inconsciemment, et que l'on choisisse son endroit selon des caprices mentaux, enfouis, s'assemblant de préférence avec un ami ou un proche comme s'ils étaient de petits totems bienveillants. Un duel entre le hasard et la nécessité que la nature met à nu. Si l'on avoue, c'est de la « connerie verte » .

Chacun a eu droit à son petit sachet contenant du pain, du fromage, un fruit et un pack de jus ; quelques morceaux de « Rakhsiss » , dont je n'ai pas trouvé l'équivalent en français, sont servis en option, avec quelques centilitres de leben, pour sans doute masquer l'acidité reconnue du produit, et qu'il m'a fallu à l'instant éviter. Ce n'est pas l'idéal pour une randonnée. De l'eau, oui, et à volonté. Et puis, je ne mangerai point sans remercier celui que tout le monde appelle El Hadj, homme très dévoué, aidant sa région, voire les habitants, et qui nous a tout le temps accompagné tout en s'attelant à coordonner la logistique. Il y avait également d'autres personnes. Un regard particulier à celui qui possède la voiture crème, une Peugeot quadragénaire si je ne m'abuse; c'était lui le ravitailleur et le courtier en pleine piste, il fallait le reconnaitre et le remercier lui et ses amis. Sa voiture tombait en panne et en un tour de main il la récupérait, souvent en utilisant quelques fils de fer et tapotements. Sans doute, j'en ai oublié d'autres bénévoles. Je m'en excuse auprès d'eux.

Epoustouflant paysage à la forêt d'Ezzen.

Après la pause, on a pris le chemin du retour en empruntant une piste pittoresque, sans quelque accroc particulier. Aucune grimpette ne se profile à l'horizon. Malgré le soleil, on est protégé par des arbres très imposants et les suites de virages portés à l'ombre. Bien évidemment, je suis en arrière avec les organisateurs. Alourdi par mon sac, mes deux appareils photo, ma bouteille d'eau et mes ustensiles divers, je m'attarde donc à photographier tout ce qui bouge ou qui ne l'est pas. J'ai pris en images un papillon ; j'ai côtoyé aussi un cérinthe minor (ou mineur, comme il vous sied) avec ses jolies fleurs en tubes, de grands arbres de « Semlal » , _ allez-y comprendre une chose ! _ pour reconnaitre que ces plantes sont des porte-greffes idéaux du néflier (Hab el Moulouk jijelien). Ne pas oublier le géranium atlantica, les lathyrus, des petits pois violacés, et à s'y méprendre des violettes bleues puis des jaunes que j'ai observé dans un autre endroit quelques jours après!!! À vraiment découvrir, je pense.

De G. à D. : Cerinthe minor, Geranium atlantica Lathyrus sp. Violette bleue (Viola sp.)

La procession des visiteurs lors du retour.

Le chemin est également un cours de géomorphologie. Un spécialiste de l'université de Jijel en notre compagnie nous a expliqué quelques bribes de géologie locale. Je l'ai bien sûr questionné à propos du socle kabyle, une formation antécambrienne schisteuse très développée ici, et l'on s'est intéressé aux incrustations cristallines qui jalonnaient notre parcours. Mais j'aurais souhaité apercevoir, pour ma propre curiosité, les barres calcaires d'âge Silurien. Elles n'étaient pas sur notre chemin. Elles sont plus à l'ouest, vers l'oued Djendjen. Ces formations primaires à tentaculites et Orthocères ont une relation avec le socle kabyle puisqu'elles le recouvrent. Ces calcaires, même si c'est du charabia pour quelques-uns, seraient la couverture primaire et sédimentaire du socle kabyle. Ne l'oublions pas, on est en Petite Kabylie, je le répète, à la limite des coups d'épaules culturels et politiques ; et fait très important, c'est le seul affleurement identifié dans toute l'Afrique du Nord. Un autre ami géologue de la même université, à qui je dois ces intéressantes explications et la captivante histoire de leur découverte dans les années 40, dont on a revu les péripéties au cours de la conférence donnée par le professeur Djelloul Belaï de l'université d'Alger (Bab Ezzouar) à Jijel dernièrement, a proposé de classer ces terrains géologiques comme patrimoine national. Une opportunité touristique et une occasion pour la connaissance de la région.

Cristallisation dans le schiste épousant la déformation du terrain.

Des vues et des panoramas m'ont laissé pantois, je n'ai plus le temps de vous raconter ces autres "fumerolles", j'ai honte de vous importuner encore une fois avec mes explosions culturelles et scientifiques, cela faisant en marchant. C'en est trop, vous ne trouvez pas. Le baroud de chez nous ou pas; c'en est fini. Pourtant son odeur m'était agréable. Du nez à l'œil, "humons" la lumière de cette fin d'après-midi. Le soleil est en noyade céleste, il s'affale doucement tout en sculptant pour le jour de longues ombres obliques, dévoilant des formes propices aux images. Soyons sérieux, que du paysage je décris. Je poursuis donc pour une ultime photo, à un final virage. Acculé dans mes errances, je suis rattrapé par les bus barrant le chemin. De là, on retourne directement vers Chahna (town), en empruntant une piste septentrionale, puis à 17heures hop! Jijel. De lourdes fatigues aidant, des pénombres lourdes que dispute et dilue de sa laitance un léger brouillard, pour ainsi dire timide, commencent à couvrir les éminences et les monts. Elles s'allongent au fur et à mesure que nos pupilles cèdent; que l'on s'approche de la mer, du vacarme des cités jetées près des routes à qui il sied de squatter sans vergogne et sans esprit des dunes vertes millénaires. Plus tard, tel un rapide baissé de rideau, elles noirciront, des panoramas emportés par la frénésie urbaine, soudainement devenue héréditaire. Dès lors, nos cœurs et nos douleurs s'apaiseront un instant de nuit.

Voici mes derniers souvenirs diurnes avant que ne s'éteigne le jour.

Karim Hadji

jijel-archeo & natura-jijel © juin 2014


 

 
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