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Randonnées

« Pourtant que la montagne est belle... » Jean Ferrat


Retour à Erraguène


Panorama Paysage de Petite Kabylie
Les monts Babor et Tababor vus de Selma

Samedi 22 mars 2014

J'y avais depuis longtemps désiré. J'y suis allé. Je souhaitais revoir Erraguène et Bida, deux localités perdues et coincées à l'extrême sud-ouest de la wilaya de Jijel, à la limite des frontières de Béjaïa et de Sétif. Je voulais encore visiter ces contrées touchées de plein fouet par les décennies d'isolements, de migrations, de pauvretés, puis des tueries et des déplacements. Je désirais tâter le pouls des montagnes généreuses mais abandonnées, faire comme un médecin de campagne au chevet de ses nombreux patients brusquement affaiblis.

Ces cités rurales, avec Selma, sont situées aux confins de la géographie et des administrations locale et centrale ; dire ainsi, pour mieux expliquer, dès le départ, un terme générique malheureux applicable à ses régions : l'isolement durable. Pourtant la commune d'Erraguène, par exemple, n'est qu'à une quarantaine de kilomètres de Jijel et on mettra, figurez-vous, deux heures environ pour y arriver. On est assurément loin des autoroutes, loin des routes et de la communication tout court.

Cependant, je disais, j'y suis retourné.

L'occasion s'est donc présentée le 22 mars 2014. J'étais invité par l'association « SAFIR pour le Tourisme » qui active dans la wilaya de Jijel. J'en remercie ses membres en passant. Mais je devais en retour leur rendre l'amabilité du geste, par ce texte, en décrivant même furtivement la visite d'Erraguène et la randonnée qui s'en est suivie à la pittoresque Bida. J'espère que d'autres en feront de même pour publiciser la région.

Rendez-vous est donc pris pour le matin à 8 heures, comme indiqué sur l'invitation, sur laquelle mon nom en arabe a été mal transcrit, alourdit d'un aleph inoffensif et que, dès le départ je pardonne la faute. Dix minutes avant, un monde bigarré attend déjà près de l'esplanade de la mairie, baignée par un soleil du matin, et lieu du rassemblement. Trois bus sont également garés au bord du trottoir : un particulièrement peint en orange embellit de sa chatoyante couleur l'ambiance de l'attroupement, il sert généralement au transport scolaire dans nos communes montagneuses. Mais un contretemps s'en est mêlé. Deux ou trois bus qui devaient venir d'Erraguène sont en retard. Un imprévu qui aurait du être traité la veille. En effet, il aurait été judicieux, comme l'a affirmé un convive, que les deux bus passassent la nuit au parc de la mairie de Jijel et que leurs chauffeurs soient pris en charge localement pour la nuit, pour qu'ils soient tout à fait prêts pour le lendemain.

Sans attendre leur arrivée, un responsable du voyage règle les derniers détails et, invite chaque association à regrouper ses membres pour qu'ils prennent les bus déjà présents. Un autre, s'en est fait transmetteur. Sa voix est transportée par un haut parleur qui en dénature la voix, le son qui en émane se ballade au gré des circulations d'un jeune, se faufilant entre les groupes d'hommes ou de femmes assez compacts, et trimballant, tantôt de sa main droite, tantôt de sa main gauche moins forte, l'enceinte du porte-voix qui siffle dès qu'il s'approche du communicateur. Mais tout le monde comprend.

Finalement, deux bus tout aussi orange viennent d'arriver d'Erraguène. Tout le monde est soulagé et l'heure du départ approche joyeusement. Moi, venant à titre individuel, suis pris dans une voiture convoyée par un ami de l'université de Jijel et membre de l'association « Safir », un autre invité est avec nous.

Nous quittons Jijel et nous nous dirigeons vers Texenna, 22 km plus au sud. Le trajet est vite consommé, la route large et goudronnée est praticable malgré la montée. Après le col, on se gare à quelques dizaines de mètres plus loin, pour attendre le reste du convoi. Il est presque neuf heures. Certains profitent pour boire de l'eau ou un café oublié du matin.

Quelques minutes après les bus arrivent, ils sont rejoins par un autre de Texenna qui les attendait, celui-ci transporte une troupe de jeunes garçons et filles scouts joliment parés et tout aussi beaux. Les autocars ne se s'arrêtent pas, à raison, ils continuent leur chemin.

Le trekking roulant débute. On prend aussitôt la bifurcation droite menant vers Selma. La route, ancienne piste, est tracée à même les flancs sud des montagnes abruptes du littoral jijelien. Elle est à équidistance des sommets et du lit de l'oued Djendjen, cours d'eau qui a buriné et déchiqueté la région. La route en lacets, à faire vomir, nous montre d'époustouflant paysage. On longe ainsi, les djebels Msid ech Cheta (1543 m) et Fedj el Teffah (1400m env.). À notre gauche, des pentes en précipices dévalent en direction de Djendjen, rabotées par les affluents de ce dernier. Sans vie qui s'observe, la nature s'éclate. Les lueurs du matin illuminent encore plus le décor. Sans que les humains n'y participent, le soleil grimpant à l'est met en relief les contreforts abrupts du Tamesguida. J'aperçois et je reconnais alors des endroits qui m'étaient familiers, ils s'échelonnent sur la rive droite de l'oued Djendjen : Djebel el Kalaâ, Djebel Tirourane, Oued Bou Nassa sortant en cascade d'un défilé, oued Asmassene frayant son chemin entre deux flancs en "V " impressionnants et sans doute dangereux. Lui aussi vomit en cascade, trahissant là, la limite des terrains imperméables et les affleurements calcaires du dessus. Une bonne et simple leçon de géologie.

Sur l'exiguë route, depuis Hmara et Tarakecht, plusieurs engins de travaux publics sont essaimés le long du parcours. Ils s'attellent à la réfection de la route, une piste muletière ancienne devenue subitement et miraculeusement une voie routière. Celle-ci n'est pas très large et deux véhicules peuvent difficilement s'y croiser. D'ailleurs, je me pose la question, pourquoi on n'a pas élargie plus encore le tracé et, traiter davantage les talus. Le cas aurait satisfait davantage les habitants, qui par ailleurs ont déserté les lieux à cause de l'insécurité ancienne et le dénuement. Cette région depuis Hmara jusqu'à Bida, c'est-à-dire à la frontière de la wilaya, en passant par Selma et Erraguène, est frappée par le sceau de l'enclavement et de l'isolement. En agrandissant la route, on aurait réglé le problème du transport sur une cinquantaine d'année, peut être plus. À l'instar des vaisseaux sanguins, et grâce à la communication, les âpres terrains auraient été derechef retravaillés et revivifiés. Le tourisme de montagne, qu'il soit culturel, sportif, ou scientifique, aurait également trouvé un début de pratique salvateur. D'énormes potentialités existent. La léthargie et la dormance publiques tout autant. À moins que la région ne s'agrippe qu'au dicton ou aux complaintes chroniques comme pourrait le suggérer la source qui coule près de Kebaba : Aîn Mechaki (source des lamentations). Cela reste de la fatalité. On préfère l'appeler source des doléances, celle qui absout les souffrances. Et c'est notre appel aux autorités pour qu'il en soit ainsi.

Des bulldozers travaillant sur le chantier nous freinent, ils dament de la terre près d'un pont en béton, nouvellement construit, mais trop petit pour le siècle et l'avenir. On en profite pour mettre quelques photos et chasser nos appréhensions que nous partageons avec les locataires du pays, qui pensent que l'on ne réfléchie jamais à long terme.

Panorama près de Selma : Au fond, la cime enneigée de Tababor

On reste pantois devant un pâté de maisons en couverture de tuiles à l'ancienne et, en arrière plan le mont Tababort qui nous montre sa cime enneigée. Le paysage peut paraître idyllique, mais il ne faut pas se leurrer, les demeures sont presque toutes inoccupées. Le désolément des lieux et l'âpreté des terrains auront découragés plus d'un. L'insécurité aidant et les années passées ont fait surgir d'autres problèmes comme la question du foncier familial accentuée par une démographie sournoise dont on parle peu, bien qu'ici la majorité des jeunes partent ailleurs. Ces terres, si elles ne sont pas emportées par l'érosion subiront comme partout en Algérie le fait du démembrement.

La route serpente encore mais ne monte pas. Les roues flirtent avec les caniveaux et les précipices. Le jeu est involontaire. Le risque est grand. Puis, on arrive à Mourghane. Nom bizarre, qui rappelle, vous le devinez un mot étranger. Toutefois, la comparaison s'arrête là. La cité, comme l'indique son préfixe, est morte, touchée gravement et durablement par le climat morbide de l'insécurité passée. Les maisons qui s'accrochent à la pente sont affreusement vides, certaines sont envahies par la végétation herbacée et les ronces accrocheuses, d'autres perdent déjà certaines de leurs pierres. La mosquée qui jouxte la route, peinte en vert, est fermée depuis longtemps, son minaret se dégrade. Pis encore, aucune prière n'était depuis longtemps venue faire quelques incantations à Dieu, le Miséricordieux : seule la nature est en respect. Le rituel religieux, autrefois si emporté, a déserté les lieux et le muezzin aurait changé de vocation. Afin que cet endroit ne soit pas squatté par des malintentionnés, la porte est cadenassée par une lourde chaîne rouillée. L'école en état de délabrement n'accueille plus ses potaches. Les écoliers autant que leur famille ont élus domicile à Texenna ou dans des contrées plus sereines, moins rebutantes ou moins inclinées. Pourtant les élèves poursuivent leur cours et leur scolarité, malmenés par l'exil intérieur. Et leurs parents tout autant désorientés continuent leurs errances. On pourrait croire que le tout puissant aurait délaissé Mourghane. Faut dire que ses habitants et les responsables officiels, sensés gérer leur vécu, ne sont pas en Hégire mais absents.

Les détours et les crevasses se relaient. Une muraille annonce Selma. C'est le mont Tazegzaouet (toujours vert en berbère). Puis la route devient parfaitement goudronnée. Le paysage s'humanise légèrement, les terres portent quelques infrastructures et un semblant d'agriculture : en général des arbres fruitiers. Les stigmates des feux de forêts récurrents sont visibles, chênaies de liège calcinées vite remplacées par des herbes ; en hauteur, les branches effeuillées d'une zenaie, jadis splendide, se lamentent au vent. On traverse rapidement Selma dont le col nous est caché par un cantonnement de l'armée. On glisse de l'autre côté et l'on découvre le bassin versant de l'oued Dar el Oued. Sur le chemin de celui-ci se dresse le mont Tloudène dont on aperçoit la saisissante cime.

Le mont Tazagzaouet et Selma

Nous sommes au pied du Tazegzaouet, près d'Aghadou. On longe son flanc sud puis la route descend merveilleusement vers Erraguène, notre destination prévue initialement. Le panorama s'élargit un peu plus. Une bifurcation à droite mène vers Fedj er Rieh (Col des vents) puis à Afarnou. On ne l'emprunte pas et on passe à gauche. On est vite rattrapé par une portion du djebel Taguerourt. Les pentes, moins abruptes que tout à l'heure, sont couvertes d'ampelodesmes (diss) d'un vert-jaune éclatant, les genêts et les asphodèles se disputent les quelques terrains suintants d'eau. Ils commencent à peine à fleurir. L'un de jaune, l'autre de blanc rosacé. La scille, qui attend son heure, éclot en concurrence ses grosses feuilles vertes luisantes et, exhibe sa présence. Ainsi, tous surveillent le printemps et, seuls quelques pieds de lys d'Alger aux fleurs bleues exquises liserées de jaune, observés près des humidités, auront anticipés la saison.

Il ne nous reste que quelques kilomètres. Après quelques détours sur une route parsemée d'ornières, nous observons enfin le plan d'eau du barrage d'Erraguène. Nous rejoignons une voiture qui s'était garée pour que ses occupants puissent admirer le paysage, tendre une publicité et, photographier l'absolue beauté. Nous fîmes de même et recherchions d'inédits angles de prises de vues. À l'occasion, le belvédère improvisé n'a pas échappé aux autres convives. Eux aussi s'invitent au décor. Maintenant que tous sont là, l'on s'affère à prendre des photos souvenirs.

Le mont Babor

L'attraction touristique de ce lieu est indéniable. L'impression est édénique. Sous un ciel azuré où quelques mèches de nuages subsistent, les bleus et les verts s'entremêlent sans se punir. Des langues de terre boisées lèchent les eaux du barrage qui prennent ainsi une couleur émeraude, agréable à la vue. Au large, quelques îlots émergent sur la « mer » calme et bleuâtre due aux reflets des montagnes et de la réverbération du ciel du milieu de la journée. Le duel de bleu est davantage accentué, comme dans la dernière touche du peintre inspiré, par le miroitement blanc du névé du mont Tababort qui trône en arrière plan et qui encore, nous excite.


Le lac du Barrage d'Erraguène

Erraguène, n'est plus qu'à quelques encablures. On y accède au bout de certaines minutes. Arrivé, le cortège de véhicules prend toute la longueur de la principale rue ou avenue du village : la seule en vérité. Un grand rassemblement de personnes s'agglutinent instantanément devant le siège de la mairie. Bien épinglé d'un costume gris-clair, ceint de la cocarde républicaine, le maire à l'allure d'un jeune soutenant, qu'à première vue on dirait emprunt de naïveté et, dont on pourrait vraisemblablement sous-estimer la force et le caractère, à cause de notre fausse perception, tout ému, accueille ce beau monde et, essaye d'embrasser au hasard les personnes qui passent à ses côté et qui pour la plupart lui sont inconnues.

Sur le parvis de la mairie, un groupe de jeunes nous chante une chanson hors contexte. Toutefois, la mélodie qui en émane, cloue au garde-à-vous toute la foule et embellit pour une fois, d'une belle sonorité, la quiétude annuelle des habitants d'Izzeraguène, des jeunes soldats affectés ici et des gendarmes qui ne sont jamais loin.

Ensuite, on est vite dirigé vers l'école primaire Makhloufi. Une foule nombreuse se rencontre. Le mur est de l'école est peint de drapeaux algériens. Dans la cour, une suite de tables jointes ensemble, dessinant un grand « L » est couverte de crêpes et de bouteilles de limonades sur lesquelles s'amoncellent des gobelets blancs en plastique. Des petites filles sont assises sur un long parapet et attendent gentiment. Des scouts venus de Texenna entonne pour l'assistance un champ patriotique, rythmé à l'occasion par un chef d'orchestre très sérieux secouant solennellement et sans honte sa main droite. On est attendri par la scène et reconnaissant envers ces enfants tous bellement décorés.

Le mur de la cour de l'école primaire Makhloufi dessiné du drapeau algérien
Crêpes et limonades
Fillettes de l'école Makhloufi
Des enfants scouts venus de Texenna

Puis le maire prend la parole. Après avoir souhaité la bienvenue à ses invités, il discute des problématiques du développement de la région et du retour de ces habitants. Des ambitions qu'ils possèdent, des aides urgentes qu'ils attendent des pouvoirs publics. Après les années ténébreuses qu'a endurées la région, l'édile du village espère que les journées comme celle d'aujourd'hui se répètent le plus souvent et qu'à l'avenir ramèneront des touristes. Il dit dans ce sens que nous sommes des pionniers et il est vrai, que par leur isolement, nous aussi on les aime et on les respecte. Et pour cela, dans la compassion, nous braverons toutes les peurs et resterons solidaires des habitants d'Erraguène, de Selma et de Bida.

Le maire d'Erraguène prononçant un discours

Sitôt le discours terminé, on s'invite à manger les désirables crêpes jaunes luisantes et tiédies au soleil. Je les ai trouvées délicieuses. De la saveur des « Ghraief » jijeliennes, moins ouvertes comme on dit, elles sont par contre cuites en double. D'ailleurs un joint séparant les deux parties, comme dans une sédimentation passagère, est visible. Je n'ai pas touché à la limonade.

El Ghraief d'Erraguène

Finies les brèves subsistances, on s'apprête à cheminer vers Bida. Il est presque midi. On part plus au sud, à la limite de la wilaya de Jijel avec celle de Sétif. Le premier virage et l'on observe l'immense digue du barrage. La vue que l'on possède lors de la traversée du pont est encore plus impressionnante. On imagine seulement la masse d'eau emmagasinée qui pourrait se déferler sur nous, si la digue se romprait. Mais le ciel est bleu et le mur échancré en dentelles nous fait oublier rondement les aléas. On est simplement entraîné devant l'imposant édifice qu'on aurait aimé visiter et qui demeure cependant une autre attraction pour la région. Sûre, mais très certainement une imposture hydrique, puisque Erraguène, les pieds dans l'eau, continue à souffrir du manque du précieux liquide, une denrée locale pompée vers on ne sait quel haut plateau, sans contrepartie financière.

La digue du barrage d'Erraguène vue du pont

Le pont traversé, on remonte de nouveau. C'est une des caractéristiques de notre région : si l'on ne monte pas, on descend. Le relief calque fréquemment le profil d'un électrocardiogramme en furie. Pourtant les gens, malgré la rudesse, restent calmes et admiratifs de leur nature. Ils nous restent cinq kilomètres pour arriver à Bida. On est en territoire des Béni Zoundaï. D'un coup, l'impression est plus aride en s'éloignant du nord. Là, se dessine à nous avec acquittée, la convenance des reboisements mûrement réfléchis. Si ce n'est la verdure et la fraicheur qui subsistent au fond des petites vallées ou dans les couloirs d'oueds que l'on traverse parfois, on se croirait à la lisière d'une haute steppe saharienne.

Paysage de Béni Zoundaï

Puis, la route contourne en épingle de cheveu Ras Amoula, un chemin à l'est mène vers mechta Zraa el Mial (tout un symbole) : des jardins abrupts jadis cultivés, près desquels coule oued Taserra, au fond d'un cirque dessiné par Ras Kef el Akabal dont l'hauteur moyenne de ses cimes est de 1000m. Ras el Merba, avec ses 1272 mètres, surpasse la localité et tous les autres Ras (éminences). Néanmoins, le plus haut sommet de ces contreforts ouest tourmentés à volonté reste le Djebel Aggoug et ses 1546 m. Il amasse une plus grande verdure.

On arrive au pont qui traverse oued el Bahar près d'un ancien gué. Érigé très excentriquement, il a encore isolé Bida. Pourtant, il existe des endroits très en vis-à-vis de cette dernière, qui auraient vite fait d'écourter le trajet. Bon, on se tait.

Mechta Bida

Maintenant, on est à une lieue de Bida ou de Hadjar Kebab (pierres qui roulent) : c'est tout de même un nom de pierres, qui annoncent des ruines. Et, Bida est connue pour ses vestiges romains et sur le fait important d'être un jalon d'une part de la route ancienne Chobae-Cuicul (Ziama-Djemila) et d'autre part de celle d'Igilgili-Cuicul (Jijel-Djemila). Une double importance dont elle s'en prive toujours, puisque des fouilles modernes et scientifiques n'y sont pas pratiquées. La position de Bida est mentionnée par les historiens de l'antiquité. Sur la table de Peuntinger, elle est désignée Ad Basilicam, dans l'itinéraire d'Antonin : Ad Ficum. Une inversion qui a longtemps chatouillée le crâne de plusieurs archéologues. Mais tout le monde s'accorde maintenant, au regard des distances que Ad Basilicam est le nom romain de Bida. On en reparlera à l'occasion puisqu'aujourd'hui ce n'est pas notre sujet.

Quelques centaines de mètres et on fait une réentrée dans la verdure : c'est Bida, posé sur le piémont oriental de djebel Settara, lui-même dominé par les contreforts prodigieux des monts jumeaux de Babor et de Tababor. Sans attendre, les visiteurs prennent le chemin des petites hauteurs, traversant au début un campement militaire champêtre. Là où l'on chemine, on entend les murmures de l'eau. L'endroit baigne en conséquence dans le liquide. Une puissante source d'eau est sur notre parcours ; vu les pierres de taille qui l'entourent, elle serait utilisée dès l'époque romaine. Plus loin, on découvre des tombes creusées dans le rocher, il y en a des doubles, des triples, et des quadruples. La voie romaine, facilement reconnaissable, qui semble au départ du nord annoncer la cité, coupe un grand rocher puis contourne la nécropole pour se perdre dans les eaux du barrage. À fortiori, Sur ce versant boisé et touffu, on y a remarqué que des sépulcres creusés et des épitaphes que l'on avait auparavant recensées, parmi elles celle de SEPTIMIA. Il faudrait plus d'investigations pour reconnaître les édifices publics et les maisons d'habitations. Mais à en croire quelques habitants, enthousiasmés par leur passé, l'existence d'inscriptions submergées par les eaux du barrage, pourrait supposer que le cour d'Ad Basilicam se trouverait au fond de la vallée engloutie. Mais ça aussi, c'est une autre histoire.

De gauche à droite : Tombes doubles creusées dans le rocher, élément d'un moulin, sarcophage.

Beaucoup de maisons ont été abandonnées malgré la richesse du lieu. Les oiseaux également ont déguerpi, me l'a avoué un riverain. Et ça se remarque, peu de gazouillis, pas de chants. Lui parlant du chardonneret élégant (Carduelis elegans), il me confirme qu'il est parti en même temps que les hommes. C'est un passereau qui aime la compagnie de l'humain. Comme le moineau domestique (Passer domesticus) dont des dizaines d'individus ont trouvé domicile dans des trous de murs de maisonnettes du campement. Ils piaillent et se chamaillent parmi les militaires, sans qu'ils se sentent déranger. Contrairement à l'élégant, le domestique est resté fidèle au coin.

Au cours de notre descente pour aller voir d'autres vestiges au bord de l'eau, mon accompagnateur me présente avec esprit, comme si j'étais un novice, quelques plantes de la localité. Mais on a bien rit, lorsque l'on cherchait, chacun de son côté, leur appellation en langage vernaculaire. On voici quelques unes : Ansal, scille maritime (Urginea maritima L. - liliacées) ; Berouak, asphodèle (Asphodelus microcarpus Salzm. - liliacées) ; Semmar (Adless), (Juncus maritimus Lamk. - Juncacées) ; Zaârour, azérolier (Crataegus azoralus L. - Rosacées) ou l'hybride (C. ruscinomensis Gren.). Mais aucune de ses plantes à cet instant ne portait une floraison.


La pervenche bleue

On descend alors plus bas, près de la côte du barrage, où la végétation est plus dense. Je cherchais des fleurs, j'en ai trouvé qu'une seule qui m'a parue être la pervenche bleue (Vinca difformis Pourr.), une apocynacée qui renferme un alcaloïde puissant : la vincamine, utilisée en médecine officielle contre les troubles de la circulation sanguine du cerveau et de l'oreille interne. Seulement, faisons attention, la plante est déconseillée en automédication. Dans les hauteurs j'ai bien photographié une autre, tout aussi bleue. Mais malheureusement pour ma personne, les éclats de ma passion nouvelle, les orchidées, je n'en ai pas retrouvés. Faut dire aussi que l'on n'a pas vraiment cherché, absorbé que nous étions à questionner les habitants ou à retrouver quelques antiquités valorisantes. Un chapiteau corinthien, une base de colonne, un sarcophage frustre, une épitaphe, forment d'ailleurs le lot d'une maigre moisson que l'on a pris en images. C'était juste avant le retour. Et l'on se rassemble de nouveau pour repartir chacun vers son véhicule et rejoindre Erraguène. On est parti pour refaire un bon bout de chemin ensemble. Les routes sinueuses vont nous accompagner.

Si l'on est satisfait, ici, des hommes et des femmes souffrent. Du silence, en silence. Les quelques survivants des départs forcés posent les problèmes d'électricité, du transport et du gaz butane. Pour l'essentiel. Ceux qui se baladent avec nous, viennent majoritairement d'Alger ou d'Erraguène, le temps d'une ou de plusieurs journées de vacances ou de repos, puis ils reviennent à leurs occupations urbaines. Durant l'hiver, ou d'entre les congés et les vacances, un autre silence s'installe et la contrée se vide. Et parlant d'enclavement, comment dans ces grands massifs, ou l'on passe de zéro mètre à 1500 mètres en à peine une quinzaine de kilomètres, aucun téléphérique n'existe-t-il ?

La quiétude retrouvée ne fait pas manger. La paix sans économie gère un désert. Le silence de la paix est une négation anthropologique, une noyade sociologique. Sans un sursaut dans le développement, sans une gestion démocratique, ces régions resteront à jamais moroses. Alors, aidons-les ! Comme on peut.

Karim Hadji

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