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Digest de la presse alg�rienne sur les questions de l'arch�ologie, de l'histoire, de l'environnement et de l'�cologie...
Évoquer aujourd�hui la mort de Benyahia et de ses compagnons rel�ve presque de la catharsis pour moi. Durant 30 ans, sa disparition me paraissait une �nigme irr�solue. Elle le demeure, tant l�enqu�te sur l�accident tragique qui l�a emport� a un relent d�inach�vement. Mais en parler, c�est un tant soit peu soulager une m�moire jusque-l� travaill�e par l�ampleur d�une attaque en somme contre l�Alg�rie, alors dispos�e � interc�der pour le r�glement du conflit irano-irakien. Car, c�est dans ce contexte que l�avion transportant Benyahia et sa d�l�gation � destination de T�h�ran fut abattu. Mais d�abord, de Benyahia, il �tait �crit que son destin serait tragique.
N�a-t-il pas �chapp� miraculeusement � la mort dans le crash, en pleine brousse, de l�avion qui le transportait � Bamako le 30 mai 1981? La nouvelle que m�annon�ait M. Goudjil, ministre des Transports, le lendemain matin, �tait celle de son d�c�s, l��pave de l�avion n�ayant pas �t� retrouv�e � l�heure o� il me parlait.
Sur ses instructions, j�ai programm�, avec le concours d�Air Alg�rie, une mission de rapatriement des corps. Dans l�urgence, les cercueils furent confectionn�s et charg�s � bord du Boeing 727 qui allait nous transporter. Ce jour-l�, la mort n��tait pas au rendez-vous. Un berger avait retrouv� l��pave au milieu de la brousse, � son bord, Benyahia bless� (double fracture du f�mur), coinc� dans son si�ge. A ses c�t�s, son secr�taire g�n�ral, en �tat de choc, le commandant de bord bless� �galement coinc�, et trois membres d��quipage d�c�d�s. Cette information re�ue, les cercueils des survivants furent d�barqu�s et rang�s dans un hangar derri�re le salon d�honneur. Par un coup du sort, c�est dans ce m�me cercueil d�barqu� que fut d�pos�e, un an plus tard, la d�pouille de Benyahia lorsque la mort d�cida de son �uvre � la fronti�re irano-turque, le 4 mai 1982.
7 mai 1982, des obs�ques dignes d�un chef d�Etat �taient organis�es pour Benyahia et ses compagnons. Une foule consid�rable � estim�e � 200 000 personnes � lui rendit un ultime hommage sous la pluie battante et le vent en temp�te. Sous la plume d�un journaliste s�n�galais (Le Soleil 8 mai 1982) nous pouvions lire : �Dans un silence impressionnant, troubl� par le sifflement du vent, les v�hicules de l�arm�e qui transportaient les cercueils recouverts de l�embl�me national et de couronnes de fleurs ont parcouru lentement les quinze kilom�tres s�parant la Grande-Mosqu�e, o� la pri�re du vendredi avait �t� dite, du cimeti�re El Alia dans la banlieue est de la capitale. La c�r�monie d�inhumation s�est d�roul�e au Carr� des martyrs. Elle a �t� marqu�e par une oraison fun�bre dite par Mohamed Ch�rif Messa�dia�.
A c�t� de l��motion, il y avait � expliquer la mort d�Alg�riens :
L�enqu�te est diligent�e. Les faits. L�avion quitte Alger le lundi 3 mai en fin de matin�e. Il devait se poser � T�h�ran � 18h. Il n�est jamais parvenu � destination. Il s�est �cras� pr�s de la localit� de Qottur proche de la fronti�re irano-turque, � une centaine de kilom�tres du territoire irakien. La nouvelle de la catastrophe est tomb�e le mardi 4 mai � 5h du matin. L�annonce du crash est faite par les Iraniens qui incriminent les Irakiens. Aussit�t, le pr�sident Chadli Bendjedid charge le ministre des Transports, Salah Goudjil, de l�enqu�te. Une importante d�l�gation est d�sign�e, compos�e de hauts fonctionnaires, d�experts et d�officiers haut grad�s de la D�fense nationale. En ma qualit� de premier responsable de la s�curit� a�rienne en Alg�rie, j��tais d�sign� membre de la d�l�gation charg�e de mener l�enqu�te qui a d�but� le 5 mai d�s notre arriv�e � T�h�ran. Pour la s�curit� du vol, nous avions rejoint l�Iran par sa fronti�re avec la Russie. Des groupes de travail se sont constitu�s.
Les informations les plus compl�tes, au moindre d�tail, ont �t� recueillies. Quant aux enqu�teurs charg�s de la reconnaissance des corps des victimes du crash, ils v�curent un �pisode des plus �prouvants, et c�est peu dire, devant le spectacle de l�horreur. Jeudi 5 mai. Apr�s de grandioses manifestations de soutien des Iraniens, les cercueils, oui, de nos martyrs, furent charg�s � bord du Boeing � m�me la cabine que nous occupions. Funeste compagnonnage. Il fallait que le transfert des d�pouilles se fasse dans la plus grande dignit�. Aussi, en transitant par Moscou, je remis � notre ambassadeur, Layachi Yaker, un t�lex � envoyer aux autorit�s alg�riennes les priant de pr�parer de nouveaux cercueils en bois noble.
A notre arriv�e, pendant qu�une d�l�gation nous attendait, une autre mise en bi�re a eu lieu, et le hasard a voulu que Benyahia soit dans le cercueil qui lui �tait destin� une ann�e auparavant lors de l�accident de Bamako. Deux officiers sup�rieurs de l�arm�e, rest�s sur place durant 17 jours, devaient se rendre sur les lieux du crash r�cup�rer tous les �l�ments mat�riels possibles qui allaient permettre � l�enqu�te de progresser et de d�terminer le responsable de l�attaque a�rienne visant l�avion alg�rien. Pour mener cette t�che, j�avais appris par le ministre Goudjil que le pr�sident Mitterand, par communication t�l�phonique, avait propos� au pr�sident Bendjedid, les services des experts fran�ais. L�offre fut �l�gamment d�clin�e puisque les experts civils et militaires alg�riens �taient en mesure de mener � bien l�enqu�te. J�eu l�honneur de repr�senter le ministre des Transports dans la commission constitu�e. En cette �tape, le pr�sident Chadli avait promis au peuple alg�rien de l�informer de l�aboutissement de l�enqu�te.
Avant de commencer nos travaux, nous avions estim� que la Turquie, qui poss�de des radars de surveillance tr�s performants, pouvait nous aider � percer le myst�re de ce crash. Contre toute attente, les Turcs nous ont signifi� que leurs radars leur servaient � surveiller uniquement leur espace a�rien ! Comme par hasard, en-dehors des Iraniens qui ont pu tout enregistrer � partir de Tabriz situ� pr�s de la fronti�re turque, aucun pays n�a �rien vu� dans cette zone de guerre. Ne comptant que sur nos seules comp�tences, nous nous �tions appliqu�s � exploiter les �l�ments mat�riels r�cup�r�s : une partie de la bo�te noire, le flight recorder (enregistrement des donn�es de vol) et les enregistrements de la tour de Tabriz, nous ont permis de reconstituer avec une tr�s grande pr�cision les derni�res minutes du vol.
Le Grumman quittant l�espace a�rien turc pour p�n�trer dans l�espace a�rien iranien re�ut l�ordre du contr�leur radar de la tour de Tabriz de rebrousser chemin. Il avait constat� sur son �cran le d�collage de deux chasseurs irakiens qui se dirigeaient vers l�avion alg�rien. Par trois fois, le contr�leur r�it�re son commandement de retour sur l�espace turc pendant que le pilote devait �tre en pourparlers avec Benyahia pour recevoir ses instructions. Le contr�leur de Tabriz avait compris le strat�ge irakien : �viter de frapper dans l�espace a�rien turc. Quand le pilote d�cide de retourner vers cet espace, le virage qu�il prit, compte tenu de la vitesse, le d�porta dans l�espace a�rien iranien (les donn�es relatives � ce virage ont �t� d�termin�es avec une tr�s grande pr�cision gr�ce au Flight Recorder). A ce moment pr�cis, un missile air-air percute la partie arri�re de l�appareil qui pique en chute libre pour s��craser au sol aux environs de Qottuz.
Gr�ce � la r�cup�ration des d�bris du missile, nous avons pu identifier son num�ro. Le missile �tait d�origine russe. Sachant que les r�f�rences des armes vendues aux pays amis sont archiv�es, l�ambassadeur sovi�tique, apr�s maintes tergiversations, a admis que le missile en question avait bien �t� livr� � l�Irak. L�ambassadeur d�Irak a aussit�t �t� saisi par la commission d�enqu�te. Les Irakiens reconnaissent que le missile tir� �tait bien le leur, mais ils argu�rent du fait qu�ils ont tir� des centaines de ce type sur l�Iran, et que par ailleurs, rien ne prouve que les autorit�s iraniennes n�aient pas d�pos� ces d�bris � proximit� du Grumman ; ils avaient toute la latitude pour le faire, puisque, nous, experts alg�riens, sommes arriv�s sur les lieux 48 h apr�s le crash, disaient-ils. La commission d�enqu�te exploite alors un autre indice : la trace de peinture sur l��clat d�obus.
Les chimistes du complexe d�El Hadjar ont �t� sollicit�s. J�ai personnellement re�u l�ing�nieur venu recueillir le d�bris de missile. Apr�s investigations, la trace de peinture sur le d�bris d�obus correspondait tr�s exactement � celle qui avait servi � peindre l�immatriculation de l�avion. Nous d�tenions enfin la preuve intangible que l�obus a �t� bel et bien tir� par les Irakiens. De son c�t�, l�enqu�te iranienne, conduite par le colonel Forghani, �tait d�j� parvenue aux m�mes conclusions par une autre voie, celle de l�exploitation minutieuse des donn�es radar et �coutes de la tour de Tabriz.
Au vu de ces preuves irr�futables, la commission d�enqu�te alg�rienne saisit les autorit�s irakiennes. Saddam Hussein lui-m�me r�pond par une note d�une page sign�e de lui, affirmant que ses avions n�avaient pas commis cet acte. Et de conclure, de m�moire : �Et quand bien m�me se serait le cas, vous n�ignoriez pas que votre avion �voluait dans une zone de guerre�. Ce que semblait ignorer le pr�sident irakien, c�est qu�au m�me moment, �voluaient �galement dans la m�me zone deux avions, l�un libyen l�autre allemand. Et seul l�avion alg�rien a �t� vis� ! A ce stade de l�enqu�te, six mois apr�s le crash, la commission cl�tura ses travaux par un rapport �tabli en un seul exemplaire. Ce rapport fut remis de la mani�re la plus officielle par M. Goudjil et moi-m�me au chef de cabinet de la Pr�sidence, le d�funt Larbi Belkhir assist� de Abbas Ghezael, directeur de la s�curit� � la Pr�sidence et Mouloud Hamrouche, chef du protocole du pr�sident de la R�publique. Maintenant, il est de bon ton de rappeler ou de faire conna�tre aux jeunes Alg�riens qui �tait Seddik Benyahia. Pour cela, il suffit de lire et relire parmi la somme des articles journalistiques nationaux et internationaux, en son hommage, l�un d�entre eux, celui par exemple de Jean Louis Arnaud du quotidien fran�ais (Le Matin du 5 mai 1982).
�Le renard chez l�ours�, disait-on de lui lorsqu�il �tait � Moscou, le premier ambassadeur de l�Alg�rie ind�pendante. Benyahia avait certainement l�intelligence secr�te et rapide, l�habilet� � frayer son chemin et le remarquable pouvoir de s�duction et de persuasion. Ne devait-il pas convaincre il y a deux ans Jean Fran�ois Poncet, malgr� un environnement politique et administratif parisien tr�s r�ticent, que la France devait faire aux Alg�riens certaines concessions essentielles ?
A cinquante ans, cet homme asc�tique, tirant sur une �ternelle cigarette, avait gard� la maigreur d�un adolescent et la flamme d�un �tudiant militant. A le voir aussi fr�le, on l�aurait jug� vuln�rable au premier coup de vent. Et pourtant, de tous ces Alg�riens historiques, qui ont fait la guerre d�abord, l�ind�pendance ensuite, il devait �tre un des seuls � passer � travers toutes les temp�tes, les plus secr�tes comme les plus ouvertes.
Originaire de Taher(*), le village de Ferhat Abbas, dans la partie arabis�e de la Petite Kabylie, le jeune Benyahia, qui avait rejoint les rangs de l�insurrection d�s 1954, fut aussi un des premiers � entrer en 1954 au CNRA (Conseil national de la r�sistance) et se retrouva tout naturellement chef de cabinet de Ferhat Abbas lorsque celui-ci devint en 1958 le premier pr�sident du gouvernement provisoire, le GPRA. A Melun en 1960, puis � Lugrin et � Evian, il fit preuve d�un talent pr�coce de n�gociateur, aux dires de ceux-l� m�mes qui le retrouv�rent vingt ans plus tard � Paris comme ministre des Affaires �trang�res � l�occasion d�autres n�gociations qui, pour �tre plus sereines, n�en �taient pas moins difficiles .
Diplomate, mais investi d�une mission tr�s politique aupr�s du Kremlin de 1963 � 1965, il r�ussit � s�duire Boumedi�ne qui venait de prendre le pouvoir et qui, au lieu de l�envoyer poursuivre sa carri�re � Londres, en fit son ministre de l�Information pour ne plus le l�cher. Il n�y a pas de doute que ce travailleur acharn�, nationaliste avant tout et humoristique � ses heures, a toujours su se faire appr�cier par ceux qui utilisaient ses talents. Il a fallu qu�il se marie sur le tard, notent ses coll�gues, pour ne plus �tre le dernier � quitter son minist�re, que ce soit � l�Information, puis � l�Enseignement sup�rieur ou aux Finances. A son palmar�s d�organisateur et d�administrateur, il pouvait afficher des performances aussi vari�es que le succ�s du 1er Festival panafricain de la culture � Alger, la fusion de tous les groupements de jeunesse, la r�forme de l�enseignement sup�rieur ou la pr�sentation du budget et de la politique du gouvernement devant l�Assembl�e nationale � une �poque o� l�Alg�rie avait un pr�sident, mais pas de premier ministre.
Son dernier exploit, et non le moindre, lorsque Chadli, succ�dant � Boum�dienne, le nomma aux Affaires �trang�res, fut de faire oublier le tr�s brillant Abdelaziz Bouteflika qui avait r�gn� pendant seize ans sur la diplomatie alg�rienne. Au syst�me tr�s personnel de son pr�d�cesseur, il allait substituer un appareil plus administratif sans doute, mais plus fonctionnel aussi, n�h�sitant pas � secouer quelques barons et � confier des postes de responsabilit� � de jeunes diplomates. Sans bruit, il devait �tre l�homme du grand chambardement. Comme il s�imposait � lui-m�me une discipline de fer, il n�eut pas trop de peine, semble-t-il, � imposer � ses collaborateurs une nouvelle forme de rigueur qui devait valoir � l�Alg�rie de Chadli quelques-uns de ses plus grands succ�s diplomatiques.
On le vit bien en janvier 1981, lorsqu�il n�gocia lui-m�me la lib�ration des otages am�ricains de T�h�ran, et plus r�cemment lorsqu�il mena � bien avec Claude Cheysson, au moment de la visite de Fran�ois Mitterand � Alger, les derni�res n�gociations franco-alg�riennes, en particulier la plus d�licate d�entre elles, sur le gaz. Les �loges � Seddik Benyahia furent nombreux. Sa mort tragique est demeur�e inexpliqu�e pour l�opinion publique. Elle a install� un blanc dans l�histoire de l�Alg�rie.
Zoubir Bererhi