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Randonnées

« Pourtant que la montagne est belle... » Jean Ferrat


Virée à Béni Caïd


Panorama Panorama des Béni Caïd

Vendredi 11 février 2011

J'ai déjà fait des randonnées très loin de Jijel, et à peu près moins de deux près de la ville. Pourquoi ? Je ne peux répondre. Je me dis sans doute que c'est tout près et qu'une demi-journée pourrait suffire pour visiter un tant soit peu les environs. Mais un jour un nouveau copain me fit cette remarque et me dissuada de programmer une sortie du côté des Béni Caïd. Il insista pour qu'on aille visiter deux de ses fans, Sidi L'harbi et Sidi Lebsir. Il ne cessait pas de m'en parler. Il était enthousiasmé. Au delà de la ballade, il voulait que l’on jette un regard récent sur ce beau territoire des Béni Caïd, que l’on parle un peu d’histoire bien que ce ne soit pas le cas aujourd’hui. Pour le découvrir également. Mais vous en convenez qu’il est impossible de visiter en une seule journée tenante un espace aussi vaste et si escarpé.

Mon présent ami s'appelle Nadjib et il travaille justement un morceau de terre dans les environs qu'il cultive avec acharnement. Il espère fructifier ses quelques ares inclinés en direction de l'oued el Hanout, lui qui a tant craché au bord de mer et souffert de l'horizontalité.

On s'était pris rendez-vous pour le 11 février 2011, le matin. Il y a un an déjà, je le sais, je le sens que vous allez dès maintenant protester. Nous prenons ensemble le bus pour la haute ville déchiquetée par les habitations illicites et les immeubles semi-soviétiques. On descend à l'arrêt de «l' EKETE », du nom de l'entreprise grecque qui y a construit ces immeubles dans les années 80. Certains appellent cette cité les « Grecs ». Les nostalgiques « Madame Hibou », une française mais pas sur de l'orthographe de son nom. Succession d'aberrations toponymiques que l'Algérie a enfantées dans sa douleur urbaine. Des noms et des logos étrangers pour désigner nos cités et nos jungles urbaines. Une honte assumée ! l'ekete
Deux autres exemples. Le quartier Hidra à El Akabi, j'ai volontairement remplacé le y; que viens faire ce vocable à Jijel, il n'existe aucune ressemblance avec la belle Hydra d'Alger. Mes amis, on est ni dans une résidence, ni dans une casbah, ce n'est qu'un tas de béton mal malaxé et informe surplombant des gouffres déshydratés. Et secundo, la cité Maroc à Émir Abdelkader ex Strasbourg. Excusez-moi, j'ai rien compris ! Et alors pourquoi Maroc ? On rapporte que c'est le siège d'un nouveau trafic de drogue, de Haschich. Quel hommage pour Sidi Ali. S'il venait à se réveiller...?
Situé à deux pas de la brigade de gendarmerie qui s'est offerte des buildings en pleine campagne, le conglomérat est pourtant cernée de H'chich, de beaux près verts que l'on grignote tristement de jour en jour. Dans quelques années, on ne retrouvera plus ce gracieux paysage.

El Houamra

Quittons cette parenthèse pour emprunter une route montante qui annonce la campagne verte, juste après le dernier barrage de police. À partir d'ici, nous allons épouser la couleur des Béni Caïd; nous frappons à l’une de ces portes. Pour vos connaissances, les Béni Caïd est la tribu la plus proche de la ville de Jijel, si on excepte celle des Béni Amrane qui lui est également mitoyenne. Son territoire est entièrement à l’intérieur de la commune de celle-ci. Selon les anciens, les caïdis descendraient d’un ancêtre venu des Babors dénommé Moussa. Ils auraient par la suite pris la dénomination des Béni Caïd, corruption sans doute du mot Béni Kaïm, qui signifierait les enfants du puissant, du fort, du redoutable… Puisqu’on est dans les mythes et les origines historiques, voyons ce que l’on peut ajouter comme autre information. Selon une légende rapportée par l’histoire orale traditionnelle de la région El Akbia, une famille se serait séparée des Béni Caïd de Jijel au 16e siècle pour s’installer dans ce nouveau terroir près d’El Milia. Leur patriarche s’appelait Boudjelel et était accompagné de ses trois fils – Messaoud, Saïd et Khaled - . Le premier s’est installé à El Akbia, le deuxième à Amidj et le dernier à Benihai. Voilà pour l’histoire. C’est à vous de continuer. Moi, je retourne à mes sandales, non sans vous donner la liste des descendants de ce Kaïm. D'ailleurs, où pourrait-il être enterré?

>>> Descendance des Béni Caid

En vert et contre tous, délaissons le bleu bien loin. Oui, les arbres et la police ça ne marche pas ensemble. Nous ne sentirons plus la mer. On ne verra plus la police. À nous les joies des libertés paysannes.

Mon ami qui marche plus vite, me montre de son doigt religieux l'endroit présumé d'un autre saint, si c'en est un, celui de Sidi el Harbi. Au bout dit-il, d'un chemin à droite menant vers un endroit ombragé et humide presque noir, parmi un paysage caché par une succession de maisons anciennes et de toutes nouvelles. Il s'immobilise pour me le confirmer.
_ C'est ici que j'ai vu dernièrement une nuée de femmes jaillir de ce sentier. Elles ne pouvaient provenir que du mausolée du saint, dit-il.
_ Il ajouta : on ne peut pas y aller, il y a beaucoup de maisons. Même si ces gens de la fratrie d'el Houamra nous connaissent, on préfère s'y convenir avec un guide. Ben ! Oui, il faut respecter les gens. Un autre jour sûrement.

Pour essayer de l'apercevoir, nous fonçons vers un sentier menant à la citerne d'eau. Le château d'eau si vous voulez. Peine perdue, aucune possibilité de l'entrevoir, la végétation et le relief obstruent la vue en plongée. Au dessous de nous s'étale le conglomérat urbain de la haute ville enveloppé dans la légère brume matinale. Du gris, du rouge, du blanc, que sauvent les teintes bleues de la méditerranée au loin et les verts de la végétation généreuse. De ce point, la vue embrase un panorama d'est en ouest, depuis le cap Bougaroune jusqu'aux nouveaux appartements de Mezghitane. À l'est, on aperçoit également les belles terres des Zaâzaâ.

Panorama Panorama des Béni Caïd : À gauche le djebel Telouda,
au fond Mezghitane et à droite la ville haute

geo

On revient sur nos pas pour continuer la ballade en direction de Sidi Lebsir. Et sur les grès qui forment le substrat rocheux du Djebel Telouda, je remarque une série de stries qui ne peuvent pas ne pas intriguer. Peut être sont -elles les traces anciennes d'un recul glaciaire ? Puis nous croisons le contournement est-ouest de Jijel, au niveau du rond point non encore fini. Là encore, nous admirons le paysage montagneux et fantastique du sud de Jijel. Une barrière bleue enchevêtrée dans des brumes cotonneuses, coincées entre les cieux azurs, laiteux au zénith, et les verdures des prairies fatiguées, se dégage au loin. En direction de Kaous, le village des Béni Ahmed forme une tâche en pleine expansion dans un cadre champêtre en pleine mutation, excentré mais redoutant plus les émanations malodorantes et les fumées dangereuses du centre d'enfouissement. De la poubelle quoi !, n'ayons pas peur des mots. Elle est à quelques centaines de mètres. Un colocataire toxique.

Sidi Lebsir

Nous suivons l'ancienne route sinueuse dressée par la force des engins modernes tout en admirant les belles coupes géologiques telles des ecchymoses appliquées au flanc sud de Telouda. Joyeux nom ou prénom!

Oui, je ne vous ai pas décrit le djebel Telouda. Des hauteurs de Jijel, ou même de Beau-marché dans l'ancienne ville près de la mer, on peut apercevoir une éminence avec deux crêtes à l'est du mont Mezghitane. Ces deux sommets jumeaux toujours verts, couverts d'un maquis de genêts et de bruyère que lui dispute une forêt de chêne liège, sont rattrapés par l'urbanisation, une station de stockage d'eau visible de loin y est encastrée. Sidi Briham et oued el HanoutUn point de craie blanche sur un tableau vert d'écolier. Le djebel Telouda est délimité par l'oued El Hanout qui forme Moutas et le chemin en direction de Dar el Batah. Il comprend les sépultures de trois santons, un précédemment cité, Sidi el Harbi et les deux autres, Sidi el Azib non repris par la tradition et Sidi Lebsir. C'est vers ce dernier que l'on se dirige présentement.

Vous avez sans doute remarqué que j’ai un certain penchant à visiter les tombes des anciens. Que voulez-vous ? Ils ont mon respect. Effectivement, à chaque randonnée, je commence à les énumérer sur les cartes et en « interrogeant les vivants » en partie amnésique j’essaie d’en percer leur parcours historique. C’est très délicat, je vous l’assure. Dans nos contrées vides de vestiges, ils représentent le seul patrimoine musulman face à l’étendue des traces de la civilisation romaine et aux bouleversements socio-économique et politique subits par nos populations durant la colonisation française. Je constate avec peine qu’ils ne sont pas respectés, leurs lieux d’inhumations sont profanés, on y pratique même des séances de beuverie. Des cannettes et des bouteilles d’alcool jonchent leurs alentours alors que les endroits retirés existent à profusion. Pour des musulmans ! Regardez l’état d’abandon de leur sépulture. Vous croyez quand est quitte. Ce n’est point un kit en double. Prenez garde de la malédiction des anciens.

Moi, je fais ce que je peux, en face de toute sépulture d'un santon même dégradée et quelque soit, je récite « sur lui » la liminaire du Coran. Je pense que celui qui n'a pas de coeur, n'a pas de religion. Non seulement nous avons tourné le dos à la culture et aux arts, nous essayons aujourd’hui avec grande force d’enterrer nos traditions et effacer irrémédiablement des pans entiers de notre patrimoine matériel et immatériel. Avec l’essor des sciences et des technologies, lesquelles nous prélevons au passage que des bribes, majoritairement en relation avec l’idéologie et le spirituel tous deux importés, revenons pardieu à nos atavismes sincères, à nos histoires, saluons nos ancêtres et respectons-les.
J’aurais souhaité, et cela est une opinion personnelle, que l’on donne leurs noms à certaines de nos cités que l’on continue à désigner par des logos ou sigles des sociétés de construction, des acronymes des multinationales, qui n’en ont pas besoin. Ne vous en faites pas, ils nous le rendront. Nos chers Sidi…

À force de morceler les terrains et donc les entourer, plusieurs obstacles et clôtures s'opposent à notre marche vers la tombe de Sidi Lebsir. Heureusement les personnes habitant tout près nous ouvrent un passage grâce à la seule porte amovible à l'unique volet fait de fils et de lanières d'acier rouillé. Nous traversons alors le pré verdoyant où broute un troupeau de moutons dociles et indifférents. Seuls les aboiements d'un chien affolé, sans doute lâche, nous retiennent et nous mettent sur nos gardes. On ne sait jamais avec ces canidés africains, sveltes mais imprévisibles. De loin, son propriétaire lui intime de se taire et d'un bras ramant nous fait signe de poursuivre notre chemin.

sidi_bsir

Nous arrivons cependant chez Sidi Lebsir. Sa tombe n'est ni un tumulus, ni une bazina, ni un dolmen couché. Un amas de pierre informe que les disciples ou adeptes putatifs n'ont pas daigné agencer. L'un deux lui a laissé une bougie blanche cassée et recroquevillée entre deux pierres. On dirait les gravas d'un chantier. Nous n'avons pas honte. Aucune sépulture aussi dépouillée et primitive ne ressemble à celle là. Des tombes et des monuments sacrifiés. Des saints et des santons répudiés. La tragédie que subit l'âme de ces personnages est proportionnelle à celle de leur pays. Me viens directement à l'esprit la prédication prononcée par Sidi Ali ben Mohammed des Oulad Naïl qui disait : « il naîtra de la prospérité de ma prospérité quelqu'un qui fera oublier mon nom ». Vous voyez, ces saints n'étaient pas des incultes. J'ajouterai un si beau qu'un autre nous a laissé comme épitaphe sur sa tombe : « Toi, qui est debout sur notre tombe, hier nous étions comme vous, demain vous seriez comme nous ».

sidi_bsir Autre vue du Bsir

Des hauteurs, nous contemplons le paysage montagneux. Mon compère me montre son lopin de terre sur une pente où est érigée une baraque, non loin de la route qui chemine vers le territoire des Ouled Si Ali. El DjorfPuis nous quittons le respectable martyr et reprenons la route qui continue en lacet vers El Djerf et Dar el Batah. Nous n'avons pas oublié d'acheter encore des bouteilles d'eau fraîches car la température commence déjà à escalader la barre des vingtaines. La journée est vraiment très ensoleillée. Et chez nous quand le soleil apparaît tout se dégèle. Lorsqu'il monte, l'atmosphère s'échauffe et peut devenir chaude même en hiver. Comme nous !

Revoilà la mosaïque

Sur les trois kilomètres de parcours qui nous séparent de l'intersection de Dar el Batah, la vue est saisissante, le calme presque entier. Nous profitons pour faire quelques reconnaissances géographiques et botaniques. Une jeune vache pie noire nous devancent et se dirigent vers une source près du bord de route. Elle ignore le liquide et part vers l'herbe désirée. Nous arrivons auprès de la source. Ces dégoulinades limitées néanmoins béantes s'irisent sous les rais de soleil. Quelques mètres plus loin, une belette morte est soustraite au regard par un carton. J'ai estimé immoral d'essayer de la prendre en photo. Qu'en pensez-vous ?

En contrebas de la route à l'est, un réseau de petits ruisseaux rejoint un joli vallon au fond marécageux par endroit et tacheté de tons verts chartreuses. Au loin, Il formera l'oued el Kella qui conflue, au sud d'el Mekasseb, avec l'oued Saabia des Béni Ahmed pour donner l'oued el Kantara qui lui se jette à la plage de Jijel près de la station de relevage du 2e poste. En amont, une retenue collinaire bloque les quelques eaux récoltées. Au sud, on aperçoit les contreforts de Bouhanche et de djebel el Korn.

El Batah

Finalement, on arrive au hameau de Dar el Batah. Impatient, mon ami Nadjib me presse de lui montrer le lieu où se trouve la mosaïque. Je lui en avais parlé au début de notre promenade. Je le rassure tout de suite et lui indique le chemin tout près à prendre.
_Ne t'en fais pas, l'antiquité est à quelques dizaines de mètres d'ici, lui dis-je.

Nous descendons ensemble le sentier qui suit le talweg Bou Sellam, plein de creux et d'ornières, que des flaques d'eau colonisent. Puis, d'un pas, on se retrouve près de la mosaïque, encore intacte comme je l'ai déjà vue il y'a trois ans. J'étais content, mon ami enthousiasmé. Il essaie énergiquement d'en dégager un tableau en enlevant la terre qui le dissimule. Il bouillonnait de pouvoir en découvrir les dessins, mais n'était pas armé pour ce genre d'opérations qui demeure une affaire de spécialistes.

Mosaïque Batah Mosaïque Batah
Mosaïque d'El Batah

Jusqu'à maintenant, je reste pantois devant l'inactivité des personnes en charge du patrimoine. Ils ne font rien pour dégager la mosaïque et la transposer vers le musée de Jijel, pauvre en art de la mosaïque. On dirait qu'il ne possède pas de pays. Éternelles reproches, éternelles attentes. Peu de gens s'émeuvent devant ces coloris. Nous prenons des photos pour eux, pour qu'ils prennent cour, établissons quelques mesures et quittons la ruine.

Le chemin descendant à travers champ conduit directement à l'oued Takiet, principal affluent de l'oued Kissir. Nous le suivons espérant rencontrer d'autres vestiges. Je sais, un ami m'en a soufflé le mot, dans les environs, sûrement beaucoup plus bas, sur les terres des Bourboune, il existerait des traces d'une huilerie antique, sans doute démolie. L'endroit s'y prête vivement. Cependant nous ne la verrons pas. Non seulement, on ne connaît point l'endroit ou elle se situe, mais à patauger dans une piste boueuse et un terrain gorgé d'eau empêchant toute progression, n'est pas tâche facile sans équipement adéquat. Nous rebroussons alors chemin non sans faire un saut vers des rochers qui nous intriguaient. Sur l'un deux, une rigole est creusée.

Marécage et gadoue ne contrarient nullement les charmes du paysage et du panorama. Au sud, au loin, la forêt de Bouhanche semble se défaire des ardeurs du soleil positionné à sa verticale. Bouhanche s'en moque totalement, ses verdures et ses bleues abrogent gracieusement les blancheurs de l'astre. Forêt impénétrable, c'est peu dire que ce soit « montagne martyre ». Des centaines de tombes de martyrs, anonymes ou pas clairsement son sol. Martyrs sans sépultures. Haute montagne anépigraphe.

Le Dormant de Dar el Batah

Tombe Tombe inconnue

Ouf ! Nous atteignons la route après avoir suivi un raccourci. Il nous a amené directement près du mystérieux cimetière de Dar el Batah. Aucun habitant des lieux n'y est inhumé. Aucun vieux ou vieille n'y connaît un ancêtre. Cette nécropole ancienne n'a jamais été explorée véritablement. Vous voyez comment on gère notre patrimoine. Des pierres tombales sont la proie des éléments et des restes d'ossements blanchis par le temps finissent d'être emportés par les travaux qui y sont menés (route, piste, maisons, .). Je visite les tombes irrégulières, je déambule tentant de reconnaître les contours de quelques unes et prends des photos. Je n'ai retrouvé ni inscription ni gravure. Toutefois le décor est pathétique, respectable. Certaines sépultures sont difficiles à reconnaître ; dévastées elles ne sont qu'amas de grosses pierres. D'autres, sont plus petites bien délimités et envahies par la végétation. On dirait des tombes d'enfants. Un gros rocher peint de lichens blancs et jaunes ressemble à un dormant. Le corps sobrement « sculpté » suggère une position de grand repos ; genoux repliés, mains sur la poitrine, tête affalée et callée par une pierre. La scène captivante est tranquille. Désormais, pour moi il sera le « Dormant de Dar el Batah » .

dormant Le dormant de Dar el Batah

Nous continuons l'exploration et remontons un sentier, rien, aucun soupçon d'antiquité. Ah ! La tendance vers l'archéologie. Dès lors nous rebroussons chemin pour poursuivre notre ballade. Et, stupéfaction, à l'ombre de deux splendides et majestueux oliviers, une tombe contemporaine est placée, là juste au dessus du rebord de la route. Pris par le dilemme de la découverte et du décor, je ne savais pas où diriger mon regard, vers le vert luisant du port des oliviers ou bien en direction de la sépulture. Laquelle des sensations est la plus intense. Mes sens restent bigarrés, perdus, jusqu'à ce que nous atteignions l'ombre. La tombe d'une longueur appréciable parfaitement rectangulaire est entourée d'un barbelé. Désolé, plus personne n'est en sécurité, même les morts. Mais personne n'a pu nous éclairer sur la provenance du défunt. Qui est t-il ? Est ce un Saint ? Pourquoi est-il protégé ?

Kalaât Bou Youdar

Une source d'eau tout proche nous permis de nous laver, d’augmenter nos provisions du précieux liquide et de ne plus poser de questions. Une autre mission nous attend, nous devons nous rendre vers le djamaâ, ou ce qui en reste, de Bou Youdar, au sommet de l'éminence éponyme. Il faut savoir que kalaât Bou Youdar qui culmine à 343 mètres d'altitude est un monticule long d'un kilomètre ou plus occupant une direction NO-SE. On ne sait pas s'il existe un mausolée ancien, pas plus de la condition du personnage incertain qui aurait légué son nom à cette montagne sèche. Seulement dommage que l'on se soit trompé. Au lieu de suivre le sentier qui suit la ligne de crête, en escaladant au départ près du cimetière précédent, nous avons épousé la facilité et emprunté la piste qui contourne le mont. Espérant rependre la montée un kilomètre plus loin. Mais c'était sans compter sur la difficulté du terrain.

Ferme Petite ferme à Bou Youdar

Il faut tout de même avouer que le parcours est merveilleux. Fait de lacets, chaque détour nous gratifie d'un nouveau tableau. Que l'on regarde au sud ou à l'ouest, la vue est un plaisir des yeux. Le haut est bleu, l'humilité verte. Des maisons et jardins bien cultivés, accrochés à la pente verdoyante, donnent du pittoresque au panorama. Des ânes, des vaches, des oiseaux, des ruissellements, des fleurs d'azérolier, des talwegs touffus, des tonalités bleuâtres des montagnes au loin, des oliviers éternels, des palissades et des épines, des figuiers ; tout y est pour commémorer le pays. Mais un sentier en zigzag vient nous rappeler la sévérité des déclivités. Le sol dénudé par endroit, parfois sec et blanc, souligne et insiste quand à l'âpreté des terrains et la médiocrité des hypothétiques récoltes.

Nous arrivons à un virage ou tout change à nouveau. Le coin est un véritable balcon que l'on peut valoriser touristiquement. Nous distinguons à l'ouest le barrage de Kissir et la méditerranée, au sud la vallée de l'oued Takiet et les montagnes bleues de l'arrière pays. Des maisons et des élevages agréablement disposés ponctuent le paysage enchanteur. Toutefois, un autre élément lui a donné une valeur ajoutée ; la piste en ce coin est remarquablement tracée. J'ai tout de suite fait l'analogie avec les restes d'une voie romaine. Ce qui est également frappant, est l'état de conservation de ce chemin de montagne, là ou il faut bien de noter l'importance des précipitations sdurant la période des pluies. Je vous livre une photo, peut être que j'ai tort. À vous d'en apprécier mon impression.

Voie

L'éminence de Bou Youdar est à l'aplomb. Je convaincs Nadjib pour que nous montions en haut car il disait qu'il ne croyait pas en l'existence d'un mausolée. Mais sur la carte il y est mentionné. Les pentes ravinées sont un obstacle pour notre progression et les sentiers emmènent parfois vers des lits de torrent dangereux parsemés de gros rochers, rendant toute tentative de rejoindre les sommets vaines. Après de longs détours, nous arrivâmes enfin vers un terrain légèrement aplati, bien que l'on sache ce que l'on considère comme un nivelé en montagne. S'il en existe, sa surface ne devrait te laisser le temps que pour s'essouffler et soulager un peu les jambes. En contre partie la vue est magnifique. Après une courte récupération, Il s'avère cependant qu'il reste une côte pour arriver au sommet. À sa vue, on est vite découragé. Encore une ascension, et encore une ultime souffrance. Pourquoi suis-je venu ici pour martyriser derechef mon corps de plus en plus en dérangement ? Besoin d'endorphines ou ivresse des montagnes ? Randonneur obligatoire ou camé aux découvertes et aux sensations ? Ces sentiments mélangés me renvoient à la réalité. Mon compagnon qui m'a devancé me crie qu'il n'existe rien du tout et qu'aucune sente ne s'écoule vers le haut. Il me conseille que nous descendions. Je suis sa recommandation avec amertume alors que nous devions continuer. Malgré, nous abandonnons les hauteurs de Kalaât Bou Youdar, l'arrogance et l'orgueil de son accueil. Au revoir Sidi Bou Youdar.

Le barrage de Kissir et oued Takiet

La descente est aisée, un jeu d'enfant. On dévale rapidement les dizaines de mètres qui nous séparent du bord de la route que l'on distingue. On s'arrête que pour prendre des prises de vue ou pour apprécier la région. A l'ouest, en dessous de nous, je remarque un petit plateau surplombant Bou Hatem, et que de notre point d'observation, on peu apercevoir les contours tracés par la végétation. Étaient-ce le filigrane d'un probable vestige ancien ? Des formes géométriques sont clairement visibles, vers leur accès des amas de pierres sont entassés. C'est pour nous de l'archéologie aérienne sans avion, et peut être un nouveau site archéologique dans la région de Jijel, qui sauverait, une seconde fois après la mosaïque, l'honneur des Béni Caïd. Bien évidement, il est pour l'instant inconnu et sa relation avec la voie romaine décrite précédemment ne serait sans doute point le fait du hasard. Pour nous, féru d'archéologie et d'histoire, une exploration plus sérieuse s'impose. On vous tiendra au courant.

Seflatou

À notre droite, un pré gorgé d'eau brille sous les rayons de soleil de l'ouest. Les feuilles des arbres et des plantes pleines d'humidité perlent. Squatté par la scille maritime, son centre est occupé par deux oliviers et un palmier qui n'arrive pas à grandir. Derrière eux un grand arbre effeuillé ou déjà mort est sur le point de s'écrouler, poussé par un léger glissement de terrain et les épanchements pernicieux des eaux. Ces écoulements se rassemblent dans la « chaâba » de dar ben Chouafa qui formera oued el Hanout puis oued Moutas.

Seflatou Paysage à Seflatou

Nous arrivons près d'un patté de maison assez épuisé. Le soleil commence à décliner et une fraîcheur commence à se faire sentir. Nous rencontrons une personne qui nous montre le chemin et nous ouvre la porte d'une clôture. D'ici, dit-il, vous accéderiez directement à la nouvelle route du contournement à hauteur de Seflatou. Nous cheminons à travers un « azri » très ombrageux flanqué d'une généreuse végétation, éclairée par endroit par le soleil. Les ombres humiliées sont de plus en plus sombres. Nous atteignons une piste qui conduit justement à Bou Youdar. Que voulez-vous, on a fait le chemin inverse. Un poste d'observation de la garde communale surveille le passage. Nous atteignions la route.

Le retour

Il nous reste une petite trotte pour arriver à notre point de départ. En cours de route, Nadjib et moi discutions d'un peu de tout. De la mer, de ces combats pour l'amélioration des conditions de ces homologues marins, de leurs protections sociales non encore réglées. De ses projets d'écriture et ses ambitions de travaux socioculturels. Son amour pour l'archéologie est également grandissant. Il m'a parlé d'une pièce de monnaie et d'un vase probablement d'époque romaine qu'il avait trouvé dans son jardin à El Akabi. Durant ce temps il ne possédait pas, comme il dit, l'instinct de la protection et de la préservation, et avait du les oublier.

Asservis par nos ambitions verbales, envoûtés par nos projets, nous gagnions vite el Houamra. Nous retrouvons le barrage de police. L'arrêt du bus est à quelques mètres. Des femmes et des bambins attendent déjà, deux bébés endormis sont nichés dans les bras de leurs mamans. Ces familles jijelienns reviennent chez elles, « Rahou Y Kaïlou ». Durant le trajet d'autres femmes et d'autres filles montent encore, munis de couffins et de gros sachet en plastique, sûrement achalandés. Une bassine traîne dans le couloir du bus, les enfants s'accrochent à leurs mères ou soeurs. Un gosse qui a failli tombé au cours d'une manœuvre rapide du bus dans un virage s'est accroché instinctivement au col d'un monsieur qui avait vite fait de le récupérer. L'atmosphère était joviale et respectueuse. On aurait aimé que ce bus ne s'arrête point. Quelques minutes plus tard, on arrive à la ville basse. L'autocar se dégarnit d'arrêt en arrêt. À l'un d'eux, je salue énergiquement mon ami Nadjib qui venait de descendre.

Karim Hadji
Seflatou

Photos 2011 © Karim Hadji

jijel-archeo © 2012


 

 
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